Révolutions en marche
Ces dernières années, l’innovation et l’informatisation ont pris de plus en plus de poids dans le secteur de l’immobilier, avec l’impression 3D, les bâtiments passifs ou les visites virtuelles, pour ne citer que quelques exemples. Dans le secteur du bâtiment, les dix prochaines années devraient être le théâtre de profondes mutations.
Par le passé, l’immobilier a souvent été un secteur résistant au changement et lent à adopter les nouvelles technologies. Ainsi, la construction est, parmi les 15 secteurs de l’indice industry digitization 2012 de PricewaterhouseCoopers, celui présentant le plus faible degré d’informatisation. La gestion immobilière, au 11e rang, se classe aussi parmi les lanternes rouges. Le processus d’innovation et d’informatisation s’est toutefois accéléré ces dernières années. Reste à savoir quelles technologies s’imposeront rapidement comme incontournables et lesquelles resteront enlisées en cours de développement. Par contre, le secteur de l’immobilier présente aujourd’hui un potentiel d’évolution incontestable.
- Analyse de site par simulation informatique
- Modélisation 3D des données du bâtiment
- Bâtiments imprimés en 3D
- Economiser les ressources avec le C2C
- Industrialisation des activités de crédit
- L’hypothèque à la portée de tous grâce au financement participatif
- Economiser l’énergie grâce aux matériaux intelligents
- Une maison intelligente pour une meilleure qualité de vie
- Commercialisation virtuelle en 3D
- Registre foncier 2.0
Analyse de site par simulation informatique
Bien choisir un site est l’une des tâches les plus difficiles, et en même temps les plus importantes, dans l’immobilier. Un bon choix de site est la base d’un investissement immobilier réussi. Il convient d’examiner et d’évaluer les divers facteurs avec attention afin d’identifier à temps les risques et les opportunités associées. Avec l’augmentation pharaonique de la puissance de calcul, les simulations de site par informatique s’imposent de plus en plus.
« L’impression 3D permet d’économiser environ 60% de matériaux, 70% de temps et 80% de main-d’œuvre par rapport aux constructions traditionnelles. »
Le système de simulation prend en compte toutes les variables d’environnement et de décision (bassin d’habitation, potentiel de marché, mode de vie, budget, etc.) pour en déduire la réussite potentielle d’un investissement. Il est ainsi possible de modifier diverses variables pour étudier leur impact dans les moindres détails. Des applications Web très conviviales pour l’utilisateur permettent de visualiser les résultats de simulation. Une analyse précoce est le meilleur moyen de prévenir les échecs dès la phase de planification.
Modélisation 3D des données du bâtiment
Une fois le bon site trouvé, il s’agit de planifier la construction. La modélisation des données du bâtiment (Building Information Modeling, ou BIM) par ordinateur permet aux architectes et entrepreneurs d’intégrer leurs informations de planification directement dans des modèles 3D numériques. Le logiciel met en relation et compare en permanence les données du bâtiment. Si l’architecte modifie un élément de son ébauche, tous les paramètres correspondants sont ajustés et mis à jour dans les modèles des planificateurs concernés. Le BIM garantit ainsi un ajustement rapide et continuel de la planification aux souhaits et besoins des clients. Le contrôle visuel permanent fait en outre apparaître dès la planification les erreurs qui ne se remarquent aujourd’hui que sur le chantier. Ceci améliore la sécurité de planification ainsi que le contrôle qualité.
Le domaine d’application du BIM ne se limite pas à la planification mais englobe également l’exécution des travaux et la gestion. Il va ainsi bien au-delà des possibilités o ertes par les outils de CAO (conception assistée par ordinateur) classiques. Les maîtres d’ouvrage ont malheureusement encore du mal à trouver des équipes de planification formées au BIM. Si le concept s’est déjà imposé aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou dans les pays scandinaves, le monde germanophone est encore à la traîne. Cela dit, toutes les soumissions à des appels d’o res publics en Suisse devront être compatibles BIM à compter de 2018.
Bâtiments imprimés en 3D
Les bases de données informatiques BIM posent les jalons de la prochaine révolution dans le secteur du bâtimen : l’impression 3D. Les modèles informatiques BIM peuvent servir de base pour créer des prototypes rapides et bon marché a n de visualiser un immeuble. Mais l’impression 3D ne se limite pas à la confection de modèles réduits. Les médias rapportent que les plus grandes imprimantes 3D, en Chine, sont capables d’imprimer des éléments de cloison ou de toiture pour des immeubles de cinq étages ou des grandes villas. Il y a déjà un an, une entreprise chinoise pouvait imprimer, en l’espace de 24 heures, dix habitations stables de la taille d’une cabane de jardin, pour un prix inférieur à 5000 USD pièce. Les pièces sont imprimées en béton liquide, lui-même fabriqué en grande partie à partir de matériaux de construction recyclés.
On estime que l’impression 3D permet d’économiser 60% de matériaux, 70% de temps et environ 80% de main-d’œuvre par rapport à une construction classique. Pour le moment, la principale inconnue est la stabilité à long terme de ces « maisons express ». La technologie ne cesse de progresser. Aux Pays-Bas, une société prévoit de construire un pont en acier au-dessus d’un canal à Amsterdam au moyen d’une imprimante 3D. Des robots « imprimeront » le pont sur place.
Economiser les ressources avec le C2C
Le concept de recyclage « Cradle to Cradle » (C2C, en français « du berceau au berceau ») va encore plus loin dans la préservation des ressources. Ce principe d’économie circulaire, ou sans déchet, vise à n’utiliser aucun matériau dangereux pour la santé ou l’environnement. Les produits C2C utilisent donc des « nutriments » issus soit de la biosphère et intégrés au cycle du carbone (c.-à-d. compostables), soit de la technosphère et exploitables en boucle fermée (p. ex. l’aluminium dans le cycle d’extraction, de traitement, d’utilisation et de récupération du métal). L’approche C2C s’oppose donc directement au traditionnel « Cradle to Grave » (« du berceau au cercueil »), où les flux de matériaux n’intègrent absolument pas la question de la préservation des ressources.
Un des plus célèbres bâtiments certi és C2C est l’immeuble « Woodcube » à Hambourg. Les murs extérieurs, presque exclusivement en bois, mesurent 30 centimètres d’épaisseur. Ils ne contiennent ni colle, ni produits de traitement du bois, ni plastiques, ni peinture ou vernis, ni matériaux isolants autres. On peut donc entièrement démonter l’immeuble et en répandre les débris dans la forêt sans polluer l’environnement. Peut-être l’arrivée du C2C dans la construction n’est-elle pas pour demain, mais le fait qu’il ne s’agisse pas d’une utopie écologique mais bien d’un processus visant à augmenter la rentabilité devrait accélérer son adoption.
Industrialisation des activités de crédit
Le financement de l’immobilier traverse lui aussi une révolution numérique. Les banques sont le moteur du processus d’industrialisation des opérations hypothécaires. De plus en plus de demandes sont traitées par Internet, on privilégie la gestion sans papier et les solutions standardisées. Cela permet de réduire les temps de traitement et d’exécution, de diminuer les risques d’exploitation, de libérer des ressources humaines et d’empêcher l’in ation de la charge administrative malgré une complexité réglementaire croissante.
Les « Smart Contracts », ou contrats intelligents, pourraient aussi faire leur apparition dans le financement immobilier. A l’avenir, une hypothèque intelligente pourrait automatiquement désactiver la clé connectée du propriétaire n’ayant pas payé son échéance dans les délais, et ainsi lui interdire l’accès à son domicile. Ceci accroîtrait à coup sûr la discipline des débiteurs et leurs habitudes de paiement.
L’hypothèque à la portée de tous grâce au financement participatif
Les plateformes de financement participatif, ou « crowdfunding », se développent dans les activités de financement, où elles concurrencent les canaux traditionnels des banques et assurances. Des ménages ou des entreprises cherchent à y lever des fonds propres ou de tiers pour financer leur projet immobilier. Les bailleurs de fonds, très nombreux, peuvent donc contribuer à l’investissement à hauteur de leurs moyens. La mise en relation est directe, sans intermédiaires financiers. Le financement participatif permet à un particulier, même avec peu de capital, d’investir directement dans l’immobilier.
Pour l’acheteur potentiel, ce système lui donne accès à un financement même si sa solvabilité est fragile, son apport trop faible ou s’il se trouve dans un pays où le système d’accès au crédit est encore sous-développé. En conséquence, les primes de risque et donc les taux hypothécaires exigés sur ces plateformes sont assez élevés. Les montants financés par ce biais sur Internet sont déjà importants en Grande-Bretagne ou dans les pays baltes. En Suisse, les premières plateformes cherchent à s’établir. Etant donné la facilité d’accès au crédit hypothécaire en Suisse et la multitude de possibilités de placements indirects dans l’immobilier, le financement participatif devrait se limiter, du moins à moyen terme, à quelques créneaux de marché risqués.
D’après les estimations d’une étude réalisée par McKinsey et la fondation Ellen MacArthur, la « cradeulisation » de l’économie pourrait permettre à l’industrie d’économiser 1 milliard d’USD par an dans le monde dès 2025.
Economiser l’énergie grâce aux matériaux intelligents
Certains matériaux de construction ne sont pas écologiques par leur caractère recyclable mais par leur contribution au bilan énergétique d’un immeuble. Les matériaux intelligents, ou « Smart Materials », imitent généralement des propriétés naturelles pour diminuer fortement, voire même réduire à néant, la consommation d’énergie externe d’une maison. Selon les constructeurs, l’utilisation de matériaux intelligents pourrait réduire de 30 à 45% la consommation d’eau et d’énergie ainsi que les émissions de CO2.
La commune de Brütten (ZH) accueille le premier immeuble au monde totalement autonome sur le plan énergétiqu : il ne dispose d’aucun raccordement aux réseaux énergétiques traditionnels. L’intégration massive de panneaux photovoltaïques dans la toiture et les façades permet de générer suffisamment d’énergie solaire pour couvrir les besoins des habitants en chauffage, éclairage et consommation électrique. Un mécanisme innovant de conversion de l’électricité en hydrogène sert à stocker l’énergie à long terme.
La maison allemande baptisée « Soft House » va encore plus loi : sa façade textile est conçue de façon à ce que les cellules photovoltaïques suivent la trajectoire du soleil. Le bâtiment optimise ainsi la production d’énergie au fil de la journée. Parmi les autres projets d’intérêt, citons la « maison aux algues : les parois en verre abritent des cultures de microalgues qui utilisent l’énergie solaire pour produire de la chaleur par photosynthèse.
Une maison intelligente pour une meilleure qualité de vie
La maison intelligente (« Smart Home ») résume à elle toute seule le concept d’économie d’énergie en optimisant la consommation énergétique du bâtiment. Elle doit en outre améliorer la qualité de vie ainsi que la sécurité. Chaque appareil de la maison intelligente (chauffage, climatisation, éclairage, cafetière ou distributeur de croquettes pour le chien) est programmable et pilotable à distance via un smartphone ou une tablette. Pour économiser l’énergie, on peut ainsi couper le chau age lorsque la maison est vide et le rallumer peu de temps avant de rentrer. Lorsque les occupants sont en vacances, la maison simule leur présence : elle allume les lumières ou la télé, ouvre et ferme et volets, etc., pour décourager les cambrioleurs. Elle peut aussi passer l’aspirateur toute seule ou lancer une machine à laver pendant la journée pour béné cier des heures creuses.
Pour que le concept de maison intelligente se diffuse à grande échelle, il faudra toutefois rendre la technologie plus accessible financièrement et les appareils compatibles entre eux, et augmenter la sécurité des données. En effet, il ne suffit pas de connecter divers appareils au réseau « Smart Home » pour exploiter pleinement le potentiel de la technologie. Les appareils intelligents déjà installés dans la maison ne sont parfois pas compatibles entre eux. Pour une intégration complète (câblage, montage, mise en service et programmation), il faut compter plus de 30 000 francs pour une maison individuelle. Pour finir, un réseau mal protégé est une cible de choix pour les cambrioleurs et hackers, sans compter le risque que l’exploitant conserve et revende les données.
Commercialisation virtuelle en 3D
La 3e dimension est un paramètre de plus en plus important pour vendre une maison. Demain, on pourra visiter un nombre croissant de maisons via Internet. Cette opportunité est rendue possible par les caméras qui scannent une pièce autour d’un point fixe. Les données enregistrées permettent ensuite de générer un modèle 3D fidèle à la réalité. Au lieu de se déplacer, les personnes intéressées peuvent visiter l’objet à l’écran, depuis chez elles. D’autres logiciels permettent même de voir dans le futu : en enfilant des lunettes spéciales, le futur habitant peut se déplacer dans un modèle en trois dimensions élaboré à partir des plans de construction. Il devient ainsi possible de meubler sa maison avant même le début des travaux, d’assortir couleurs et matériaux ou même d’adapter le plan de sol à ses désirs.
« Le secteur immobilier ne devrait toutefois pas rester à la traîne des autres secteurs en matière de progrès technologiques dans la décennie à venir. »
Il n’existe malheureusement pas encore de lunettes de réalité virtuelle permettant de voir l’avenir du secteur immobilier. Ce dernier ne devrait toutefois pas rester à la traîne des autres secteurs en matière de progrès technologiques dans la décennie à venir, voire même rattraper son retard actuel dans ce domaine.
Registre foncier 2.0
Sous l’appellation « e-gouvernement », l’informatique a aussi révolutionné l’administration. Le registre foncier se situe à l’interface entre cette dernière et le marché immobilier. A l’avenir, des informations centrales du registre foncier pourront faire l’objet d’un échange automatique lors de l’octroi d’hypothèque, ce qui allégerait la charge de travail pour les banques comme pour l’administration. Aujourd’hui déjà, la plateforme Terravis propose un système de renseignement électronique centralisé, à l’échelle de la Confédération. Le portail permet de consulter, via une unique interface, les informations des registres fonciers pour plus de la moitié des cantons.
Le registre foncier se gère donc ainsi de façon complètement autonome. Le Honduras planche actuellement sur l’introduction d’un système reposant sur les chaînes de blocs, le principe qui soustend la monnaie virtuelle bitcoin. La gestion du registre foncier ne sera plus centralisée, mais décentralisée, ce qui évite les problèmes de falsi cations par des fonctionnaires corrompus. Le code du programme contenant toutes les entrées du registre foncier est donc distribué à travers le pays entier, d’où plus de transparence et une meilleure protection des droits fonciers. En Suisse, la numérisation du registre sert avant tout à abaisser sensiblement les frais pour l’émission d’extraits, les saisies et modification manuelles, ainsi que les dépenses de certification notariale.
Extrait de la revue Real Estate Focus (2016), une publication annuelle de l’UBS